9 janv. 2013

Dans la rue...des pyrénées, Castet


27 novembre 2011


Elle a bien vu qu’il faisait des œillades à la fille d'en face!  C’est tout lui, d’avoir absolument voulu venir pour se défiler une fois sur place, les yeux mielleux qu’il envoie à toutes sauf à elle qu’il n’ose regarder que de biais.

Elle, assise comme ça, les mains coincées entre ses cuisses dès qu’elle lâche son calepin, pour qu’elles ne partent pas raconter des histoires dans les airs, le dos rigide et mal assuré, elle ressemble à sa mère. C’est vrai qu’elle lui ressemble, se dit-elle, une grande marionnette raidie par des années d’embarras. Elle pince les lèvres à cette idée et frissonne en revoyant sa mère faire le même geste.

Elle sait qu’à l’extérieur elle devient un truc lisse et sans pli, poli, un truc figé par la peur. À l’intérieur pourtant, ça bouillonne, ça vit, marasme d’envies et de hontes dont elle se méfie comme d’une parole en trop. Alors elle ferme la bouche pour être sure de ne rien échapper, les souvenirs en vrac, les mensonges, les coups bas, l’attente d’une vie meilleure toujours trahie, les rages qui n'osent pas éclater, et l'amertume.

J’aimerais bien être une autre, troquer ma place contre la fille d’en face que tu dévores des yeux… C’est comme ça qu’elle a commencé la lettre qu’elle griffonne sur son petit cahier aux coins racornis… redevenir l’étrangère que tu dévorais des yeux avant qu’on se mette à tout partager. Elle ne croit pas au partage, à la so-li-da-ri-té des corps amoureux, elle décompose le mot dans sa tête pour le rendre cocasse. Au final on est tout seul avec son corps qui déraille, et sa douleur. Alors pourquoi faire semblant? Tu voudrais me comprendre — quand elle entend ce mot, elle pense toujours « me prendre pour un con », mais ça, elle ne l’écrit pas sur la lettre — et moi je voudrais que tu me regardes autrement, comme tu regardes cette fille avec laquelle tu ne partages rien.

Tu n’aurais pas dû venir…, gratte-t-elle en hâte quand elle entend son nom, avant de glisser sa lettre toute raturée dans son sac. Plus tard, dans la voiture, ils en parleront. Elle sourira en sortant du cabinet. « Y a rien », lui tombera-t-elle dans les bras, « y a rien », qu’elle rêve de pouvoir lui dire. Tous ces aveux sur son corps et sur l’hypocrisie des rapports humains pourront rester dans l’ombre de son carnet, trouble-fêtes désormais inutiles. Et le regard qu’il glissera sur son corps ce soir sera net de tout ce qu’elle était sur le point de lui confier.

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