22 janv. 2013

Dans la rue... Van Horne, Montréal

13 janvier 2013
[And when you asked me what’s my biggest fear / That things would always remain so unclear  / That one day I’d wake up all alone]

Faut dire qu’on avait pas mal bu, du vin cheap d’abord, et une ribambelle de verres d’El Dorado, un rhum qu’on trouve presque uniquement dans ma cuisine et sur les étagères du Snack & Blues, Mile End Inc. Jeanne était triste parce que rien ne changeait jamais, et moi j’aurai voulu que ça ne change pas trop vite, mais n’osais pas lui dire parce que c’était pas très taoïste comme attitude.

Mais peut-être qu’il faut remonter avant ça. Peut-être qu’il faut remonter à ce documentaire qu’on avait regardé vendredi dernier. C’était sur l’art féministe des années 70. On suivait pas le film parce qu’on avait trop de choses à se dire, mais on appercevait de temps en temps tout un tas de filles qui faisaient des trucs extraordinaires et périmés - genre réciter une pièce affublée d’un costume de gros pénis - et nos yeux brillaient à l’idée qu’on aurait pu être elles, mais surtout, qu’on aurait pu vivre comme ça, avec l’aplomb de ceux qui rangent leurs gestes et leurs décisions dans une cause.

Ou alors ça remonte à la fois où mon amie Marie m’a invitée à une soirée, pendant laquelle on avait bu - là-aussi -, mais moi plus qu'elle, pour nous donner la force de passer au travers d’une explication qui nous pendait au nez depuis des mois, et qu'elle avait énuméré toutes les fois où je n’avais pas été celle que je prétendais être. Elle avait tord, et je crois bien qu’elle m’en voulait au fond parce que je ne l’avais pas assez bien fait exister dernièrement, mais j’ai senti un truc visqueux couler en moi qui a dû faire son effet avec le temps.

Ou alors ce sont ces phrases qui ne nous sont même pas destinées, «ça ne te ressemble pas», ou «t'as l’air éteinte», ou «tu devrais écouter ton coeur», ou «j’avais besoin d’y croire» avec un regard doux et une petite tape dans le dos.

Oui, peut-être que ça a commencé avec une tape dans le dos.

En tout cas, hier soir, en sortant du Snack & Blues, on parlait, on parlait, collées l’une contre l’autre, parce que Jeanne avait sorti son ipod et partageait ses oreillettes avec moi, et il faisait froid aussi, et on a décidé qu'on allait créer un nouveau collectif féministe, parce qu’on y croyait soudainement, à un féminisme qui ait encore une raison d’être, et elle cherchait un nom pour notre collectif - elle en proposait des vraiment bons -, et j'imaginais déjà la salle qui nous servirait de lieu de rencontre, d'exposition, de dortoir, de beuverie, et je voyais les murs se remplir d'oeuvres, et comme on pourrait les coller les unes aux autres sans aucune considération pour le cube blanc, et je ne sais pas laquelle de nous deux en a eu l’idée, ou si c’est juste par hasard, mais on s’est retrouvées devant chez lui. Pas devant, genre devant sa porte, mais devant chez lui quand-même. Il était avec une fille et j’ai dit à Jeanne qu’il se tapait Nefertiti, à cause de la forme que la lumière donnait à la tête de la fille, et c’était nul, mais ça nous a fait glousser pas mal de temps, et Jeanne se tapait sur les cuisses, pour dire comme elle aimait la blague, on en a même échappé les oreillettes. Et puis, ça l’a fait chavirer, littéralement, elle a basculé dans la neige, et je riais tellement que je me suis pissé dessus, et elle a attrapé le réverbère pour se relever, a rangé son rire dans sa poche en me tendant l'oreillette comme si de rien n’était. Dans son ipod, y avait une fille qui chantait que sa plus grande peur, c’était pas du tout de se réveiller un jour toute seule dans une grande maison vide, non, non, mais que la nature de ses désirs, et ce qui est vraiment important pour elle reste toujours tellement vague, qu’elle se réveille toute seule dans une maison pleine, dans un rêve qu'est pas le sien… with a big family and emptiness deep in my bones. That I would be so blinded, turn a deaf ear. And that my fake laugh would suddenly sound sincere.

Derrière la fenêtre de son ex, on voyait des ombres qui s'enlaçaient, sûrement des gestes fermes et sûrs, même si pour nous, les contours commençaient à être vraiment flous.

Kané by FAUVE on Grooveshark

9 janv. 2013

Dans la rue...des pyrénées, Castet


27 novembre 2011


Elle a bien vu qu’il faisait des œillades à la fille d'en face!  C’est tout lui, d’avoir absolument voulu venir pour se défiler une fois sur place, les yeux mielleux qu’il envoie à toutes sauf à elle qu’il n’ose regarder que de biais.

Elle, assise comme ça, les mains coincées entre ses cuisses dès qu’elle lâche son calepin, pour qu’elles ne partent pas raconter des histoires dans les airs, le dos rigide et mal assuré, elle ressemble à sa mère. C’est vrai qu’elle lui ressemble, se dit-elle, une grande marionnette raidie par des années d’embarras. Elle pince les lèvres à cette idée et frissonne en revoyant sa mère faire le même geste.

Elle sait qu’à l’extérieur elle devient un truc lisse et sans pli, poli, un truc figé par la peur. À l’intérieur pourtant, ça bouillonne, ça vit, marasme d’envies et de hontes dont elle se méfie comme d’une parole en trop. Alors elle ferme la bouche pour être sure de ne rien échapper, les souvenirs en vrac, les mensonges, les coups bas, l’attente d’une vie meilleure toujours trahie, les rages qui n'osent pas éclater, et l'amertume.

J’aimerais bien être une autre, troquer ma place contre la fille d’en face que tu dévores des yeux… C’est comme ça qu’elle a commencé la lettre qu’elle griffonne sur son petit cahier aux coins racornis… redevenir l’étrangère que tu dévorais des yeux avant qu’on se mette à tout partager. Elle ne croit pas au partage, à la so-li-da-ri-té des corps amoureux, elle décompose le mot dans sa tête pour le rendre cocasse. Au final on est tout seul avec son corps qui déraille, et sa douleur. Alors pourquoi faire semblant? Tu voudrais me comprendre — quand elle entend ce mot, elle pense toujours « me prendre pour un con », mais ça, elle ne l’écrit pas sur la lettre — et moi je voudrais que tu me regardes autrement, comme tu regardes cette fille avec laquelle tu ne partages rien.

Tu n’aurais pas dû venir…, gratte-t-elle en hâte quand elle entend son nom, avant de glisser sa lettre toute raturée dans son sac. Plus tard, dans la voiture, ils en parleront. Elle sourira en sortant du cabinet. « Y a rien », lui tombera-t-elle dans les bras, « y a rien », qu’elle rêve de pouvoir lui dire. Tous ces aveux sur son corps et sur l’hypocrisie des rapports humains pourront rester dans l’ombre de son carnet, trouble-fêtes désormais inutiles. Et le regard qu’il glissera sur son corps ce soir sera net de tout ce qu’elle était sur le point de lui confier.