20 avr. 2011

Dans la rue... Fabre, Montréal

19 avril 2011



Le bruit des autres
On dirait qu’ils sont déjà ailleurs, les autres, les gens, dès qu’ils savent qu’ils vont partir. Tu trouves pas? Comme si c’était plus la peine. D’investir le lieu présent. C’est ce qu’elles se disent. Ça et d’autres choses. Le départ des autres. Elles parlent du mec qu’il l’a regardée, mais qu’elle a pas regardé, parce qu’y avait l’autre en face, qu’avait une gueule de dieu, qui l’a pas regardée, et même s’il ne se passe rien, entre deux parties de jeu vidéo, elles remplissent l’espace, elles sont avides, de ces micro-événements, et pourquoi faudrait-il que ce soit violent, extraordinaire, renversant. Pour que ça vaille la peine d’être dit.

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Les infimes traces d’individualité que sème le quotidien. Elles les vivent mais n’en parlent pas. La possibilité de l’autre, de sa présence. La possibilité de sentir quelque chose que seul le quotidien laisse sourdre dans les lieux communs. Le trouble d’un visage matinal, qu’on ne commente pas, mais défroisse autour d’un expresso badin, les allées et venues nocturnes dans un couloir, qui n’augurent jamais rien de bon, un cadavre de bouteille sur une table, ou des rires. Parce que c’est aussi ça le quotidien, attraper un rire qui ne nous est pas destiné mais nous regonfle, ou les grincements aigus de celui qui chantonne sous ses écouteurs pour ne pas déranger, mais s’oublie.

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Les autres qui bientôt partiront, et – d’épuisement – resserrent leur espace de vie, se rattachent, déjà, à ce qui restera avec eux, veulent, dans l’obsession du départ, avoir quelque chose de tangible à emporter. Les autres, qui vont partir, ont peur. Et nous aussi. Et nous aussi, au fond, on fait comme s’ils étaient déjà partis. On resserre notre petite bulle autour d’un futur tangible. Alors que le futur, dit la chanson, ça peut aussi commencer doucement.

1 avr. 2011

Dans la rue... Brebeuf, Montréal

13 mars 2011

Savoir si on va être heureux ici

Peut-être que tout a commencé sur la route, pendant qu’on enfilait les kilomètres à la recherche d'une maison dans laquelle on se sente chez nous. J’apprenais à conduire, et tu disais qu’on y survivrait, c’était comme dans la chanson, de parkings en parkings, je te disais que j’y survivrais pas, - Les heures perdues, et qu’est-ce qu’on fait?

On a quitté les aires de stationnement, c’était pas comme dans les films de bandits romantiques, Bonnie and Clyde, dans une Mazda, le diffuseur électrique au jasmin. C’étaient toujours les mêmes chansons, la route, l’autoroute, les paysages en gris et blanc, la route, j’apprenais sans plaisir, un feu, un stop, jusqu'à ce qu'on retrouve les lumières de la ville, là où je ne voulais plus du volant. L'appartement rêvé, il devenait chaque jour un peu plus gros. Il nous fallait deux bureaux. Un garage.

Moi, j’avais toujours rêvé d’accueillir mes invités avec une bibliothèque massive posée contre le mur de l’entrée. Je disais, un appartement juif, je sais pas pourquoi, j’imaginais comme ça les appartements juifs, de vieux murs comblés d'objets d’art.

Pendant que je marchais dans la ville, j’écoutais le même album, les écouteurs plantés dans les tympans, ça libérait l’imagination toujours contenue par cette attention constante que la route exige du conducteur. Pour des panneaux. Des lignes blanches. Tous ces regards perdus, en plus des heures. Pour me venger, je captais par flashs, à travers des fenêtres laissées allumées, des vies en kit que j’aurais aimé prendre à l’essai. Je voulais des plafonds hauts. Et pouvoir prendre mon café chaque matin en regardant la ville se lever comme elle. Je savais que j'y arriverais pas, mais je comprenais pas pourquoi. C'était toujours pour les autres, cette vie-là.

Tu disais qu’on y survivrait, c’était comme dans la chanson, la vie, de parkings en parkings, je te disais que j’y survivrais pas, mais c’est plus facile ici de rêver plus grand. On disait, on cherche quelque chose qui nous ressemble, ça voulait pas dire grand-chose, on prenait du poids, la vie, de plus en plus, c’est vrai, allait se dérouler en dedans, alors on pouvait bien s’éloigner, si les chambres étaient, si l’étage offrait, si le parquet brillait, si les boiseries à décaper. La maison ressemblait aux photographies des catalogues de décoration qui s’entasseraient dans un porte-revue transversal en alu fixé sur le mur des toilettes. Je disais, c'est vrai, les étoiles, on les voit mieux ici qu’en ville.

Je faisais plus de distinction entre les paroles de l’album et les petites histoires qui défilaient dans ma tête. Pourtant, j'aurais pu me contenter d'un nid, rempli d'objets trouvés, dépareillés. Mais il y avait cette route, qui me faisait sans arrêt oublier. Je croyais que tu le savais, dans la ville, j’aimais m’assoir à l’arrière des taxis, là où on peut détourner le regard des phares sans avoir à parler. Et regarder la vie des autres.