21 déc. 2014

Dans la rue... Drolet, Montréal

Le 13 juin 2014

Elle t'a dit qu'elle serait chez son père toute la semaine, qu'elle serait pas joignable, qu'elle voit son père une fois par an, qu'elle aurait pas grand chose à lui dire, et tu ferais mieux de la croire. Vous avez passé le cap des trois mois sans que tu t'en rendes compte. T'as quand-même eu le temps de te demander si c'était enfin la bonne, même s'il y avait des trucs en elle qui faisaient pencher la balance vers le non. Son incapacité à mettre de l'argent de côté. Son manque de temps. L'absence d'un père. Mais tu l'imagines facilement dessiner de grandes fresques dans la chambre des enfants, inventer des jeux éducatifs pour les occuper, organiser des sorties piscine, théâtre, patin dont tu sauras profiter.

Trois mois. Ton problème, c'est la confiance.
Il faut que tu me fasses confiance.
- Elle te le répète.

Tu as rencontré quelques uns de ses amis. Elle a rencontré tous les tiens. Vous avez dîné avec ta mère. Elle t'a offert un massage pour ton anniversaire, même si tu lui avais dit :
Pas de cadeaux, hein?
Ça t'a donné l'inspiration pour une longue liste de cadeaux que tu pourrais lui faire.


Quand elle se sert de ton ordinateur, tu te sens toujours un peu comme si elle ouvrait ton journal intime, tu voudrais lui arracher des mains en lui disant d'apporter le sien, et tu te trouves ridicule.

Elle a dit qu'elle devait prendre deux avions, qu'elle n'aurait pas de connexion. Deux avions. Quand-même, tu pensais, «quand-même, pas de connexion internet ni de réseau de téléphone, c'est bizarre. » Mais tu as renfoncé ça pour ne pas tout gâcher.

Dans un onglet, tu as ouvert la page d'accueil Facebook. De temps en temps, tu y vas et tu cliques sur la case du nom d'utilisateur, pour faire apparaître la liste des noms qui se sont connectés depuis ton ordinateur. Il y a juste ton compte, et le sien. Et quand tu choisis son nom, son mot de passe secret s'inscrit automatiquement derrière les huit croix qui le cachent. Tu sais que tu ne devrais pas.

29 juin 2014

Dans la rue... Brébeuf, Montréal

10 mars 2014

J'ai eu le projet d'écrire un livre uniquement composé de phrases volées dans des romans connus. J'ai eu le projet d'écrire un livre sous la forme d'une longue liste. J'ai eu le projet d'écrire le portrait d'un homme à partir d'entrevues de personnes qui ne l'auraient pas connu. J'ai eu le projet d'écrire une correspondance entre deux personnes qui n'auraient échangé que le contenu des rêves qu'ils faisaient chaque nuit. J'ai eu le projet d'écrire un livre de poésie composé uniquement des photographies d'inscriptions dans le sable effacées par une marée. J'ai pensé faire la même chose avec la neige qui fond. J'ai trouvé l'exergue parfait pour un livre dont chaque ligne aurait été écrite dans un train en marche. J'ai eu envie de faire un livre à partir de textes écrits dans des chambres d'hôtel. J'ai eu le projet d'écrire une chanson composée uniquement de titres de chansons existantes. J'ai eu le projet d'écrire un livre composé uniquement à partir de phrases prises dans des livres de développement personnel. J'ai pensé collectionner des photographies contenant du texte jusqu'à en avoir assez pour composer une histoire en les mettant bout à bout. J'ai eu le projet d'écrire un livre à partir des petites annonces accrochées à l'entrée des buanderies et des magasins. J'ai eu le projet d'écrire un livre sur les lieux clos. J'ai pensé le diffuser en déposant chaque jour une nouvelle page dans une boîte aux lettres différente.

23 mars 2014

Dans la rue... de la roche, Montréal

24 février 2011

Liste de listes insipides

Liste de fournitures
Liste d'hôtels dans la Sarthe
Liste de crashs d'avions
Liste de nez
Liste des mesures métriques
Liste d'abonnés
Liste de prénoms
Liste de mots-clés
Liste d'attente
Liste de numéros de rues
Liste de mots en w
Liste des maladies mentales répertoriées par la DSMIV
Liste de poissons d'eau douce
Liste d'options

11 févr. 2014

Dans la rue… Clark, Montréal

16 janvier 2014

Il avait fait froid, tellement froid que le ciel s'était figé en un bleu monotone qu'elle ne prenait plus la peine de regarder. Elle avait emménagé sans le connaître. Il ne lui avait posé aucune question. Elle aimait ça. Elle aimait bien les gens qui ne prennent pas de place. Elle sortait peu. Elle étudiait beaucoup. C'était une bonne étudiante. C'était une bonne personne. Quand elle rentrait de l’université, elle s'occupait à des tâches muettes. Son plus grand plaisir : les romans. Son personnage préféré : Zeno Cosini.

Et puis, c'est difficile à expliquer. Elle s'était levée ce matin-là à la même heure que la veille. Elle avait moulu du café, rempli le percolateur et l'avait fait chauffer sur la plaque. Quand elle était sortie de la salle de bain, l'odeur de café inondait la maison. Elle s'était habillée en vitesse, avait sorti son ordinateur, avait lu ses mails et la presse en buvant son café. Les nouvelles sur son mur Facebook aussi. Elle avait enfilé son manteau, mis son écharpe, son bonnet, ses chaussures, ses gants. Elle avait marché de chez elle au métro, puis du métro à l'université. Elle avait mené sa journée, identique à la précédente, cours, déjeuner, cours, pause, cours. Et sur le chemin du retour, sur le quai du métro, au moment de se lever du banc pour entrer dans la rame, elle avait eu l'impression de lâcher quelque chose et avait entendu le bruit, le très long bruit, de centaines de petites billes de plomb qui tombent et roulent sur le sol.

Quand elle se regardait dans la glace à présent, elle se disait qu'elle avait accumulé des milliers de petites choses qui ne tenaient pas ensemble. Et qu'elle avait perdu les liens qui faisaient de ces petites choses composites un personnage.

9 févr. 2014

Quelques miles avant… Bathurst

11 avril 2013
Dans le train qui nous emmène sur la côte est, je m'installe près de la fenêtre et je me laisse gagner par des histoires qui peuvent enfin se délier après avoir été repliées sur elles pendant des mois d'ankylose en ville.

« À quoi tu penses? »

Le regard de Thomas barre soudainement la route de mon paysage intérieur. Les images se troublent.

« À rien. »

Je ne m'énerve pas. Je lui fais une place à côté de moi. Je lui dis regarde, et il suit du regard une ligne imaginaire qui part de mon doigt jusqu'à tomber sur un immense lac dont le bleu se mélangera bientôt à celui du ciel. C'est une image qu'on a vue mille fois, comme un couché de soleil ou un champ de tulipes, mais qu'on a hâte de revoir parce qu'un cliché aussi peut être beau, tant qu'on ne tente pas de le photographier ou de le réinventer. On ne dit plus rien. On attend que le ciel tombe dans le lac, ou que le lac se confonde au ciel. Nos deux regards essorent ensemble leurs vieux songes pour les faire tomber dans l’eau, et les regarder partir, loin, loin... disparus. Je dis à Thomas je t’aime pour cette seconde, surtout pas pour celle d’après, te méprends pas.

8 févr. 2014

6 févr. 2014

Dans… l'île Miscou, Nouveau Brunswick

20 avril 2013


Sur la photo que Madeleine avait sortie de son sac, elle portait une longue robe rouge boutonnée sur le devant. Ses cheveux noirs étaient remontés en chignon, ses lèvres peintes. Elle avait la peau gorgée de lumière, elle riait, elle ne sait plus à qui. C'était le souvenir d'une autre vie, un temps sans limite. Depuis, ses épaules s'étaient courbées. Son visage s'était desséché, à mesure qu'on aspirait ses rêves. Ses cheveux étaient si fins désormais qu'on pouvait voir son crane à certains endroits. Et ses paupières aussi s'étaient affaissées, transformant ses yeux d'amande en une lamentation fatiguée de devoir se supporter.

Le train s'était arrêté. Elle enroula son châle autour de la tête, enfila son manteau. Le quai était rempli de bras ouverts et de mains levées. Elle aurait aimé avoir un amant qui l'attende. Un amant comme on en voit dans les films en noir et blanc, qui monte dans le train à vapeur et qui lui enlace la taille. Un amant, ou alors un mari. Un mari qui l'embrasse sur la joue, prend sa valise et lui emboite le pas. Mais c'est un employé qui saisit son bagage et l'invita à le suivre. Il faisait frais encore à cette époque de l'année. En marchant sur le quai, elle retenait son châle contre ses joues pour les protéger du vent. Les gens s'accolaient comme les globules d'un sang malade. Un chien était attaché à un poteau près d'un amoncellement de sacs. Il lui rappela Gouache, son gros berger blanc. Elle lui tapota le museau au passage. Gouache était mort seul au début du printemps 2001 dans la maison de l'île Miscou. Madeleine chantait ce soir-là pour les seize familles de Braddock, un village du Dakota du Nord dont le cimetière comportait autant de pierres tombales que le village d'habitants.

Elle avait pris une chambre dans l'auberge de la gare pour ne pas avoir à passer la nuit dans le train. C'était une bâtisse simple en bois qui avait été apparemment ajoutée longtemps après la construction de la gare. Sa chambre était au second étage. Il y avait deux lits doubles recouverts d'un tissu fleuri, presque printanier, une immense télévision suspendue au mur qui faisait face aux lits, et dans le coin opposé deux fauteuils gris séparés d'un guéridon. Depuis la fenêtre, elle pouvait voir tous les trains arriver et repartir vers d'autres paysages. Elle avait connu les chambres d'hôtels glauques débusquées très tard dans la nuit, les suites dans les palaces, le mouvement chaloupé des cabines du paquebot qui l'emmenait en Europe, les studios poussiéreux d'artiste, les canapés des lâches qui voulaient jouir de l'absence de leur épouse mais n'osaient pas souiller la chambre matrimoniale, et elle avait vieilli.

Les voyages la fatiguaient. Encore une nuit dans un hôtel, une journée dans un train, et elle serait dans son petit village acadien. «Room service!». Elle quitta la fenêtre et alla ouvrir la porte. L'employé de l'auberge déposa son plateau sur le guéridon. «Je vous sers?». Elle fit un signe de la tête. Il versa le thé fumant dans une tasse, reposa la théière. «Du lait?». Sa politesse était un peu froide, détachée du lieu dans lequel ils se trouvaient tous les deux. Elle aurait aimé lui demander à quoi il pensait. Ou plutôt à qui. Il ne pensait pas une seconde au fait que cette femme debout devant lui avait un jour été regardée avec autrement de désirs par un homme de son âge.

Le soleil s'était couché depuis longtemps. Madeleine avait retiré ses chaussures après le départ de l'employé et s'était allongée sur le couvre-lit. Le thé était froid.

1 févr. 2014

Dans la rue…, Montréal

21 septembre 2012
Ce qui s'impose de l'autre au quotidien, quand on vit avec lui. Ils l'observent mais n'en parlent pas. Un slip roulé dans des chaussettes aux pieds du lit. Un sifflement sous la douche. Le trouble d'un visage qui se réveille gonflé d’immobilité, et se défroisse de gorgée de café en gorgée de café. Et ça fait slurp. À chaque gorgée. La manie de se promener nu. Un sourire qui n'est destiné à personne mais que l'autre prend à crédit quand-même. Les sons de l'ennui : pieds qui trainent, soupires, doigts qui pianotent sur une table. Les conséquences sur les gestes de l'autre, naturellement nerveux, facilement irrités : porte qui claque, raclement de gorge, soupires aussi. Un paquet vide de chips. La façon dont il gratte, avec l'ongle du pouce, les bouts de nourriture séchée sur une casserole quand il fait la vaisselle. La possibilité de sa présence même quand il sort et promet de rentrer tard. La possibilité de sentir quelque chose que seul le quotidien laisse sourdre dans les lieux communs. Une main sur les fesses. Et qui s'échappe parfois dans la rue au cours d'une soirée chaude d'été montréalais où la pluie torrentielle aura fait oublier que les fenêtres aussi ont des oreilles.

31 janv. 2014

Dans la rue… des Pyrénées, Pau

8 décembre 2013
«Tandis que la prédisposition de l'homme est d'exercer une fonction intéressante qui le met en valeur et lui donne un poids social, celle de la femme est de rester à la maison pour élever les enfants, fruits de son aventure personnelle : l'amour.» Collection Harlequin
Lorsque la bouilloire siffle, elle attrape deux tasses sur l'égouttoir, les retourne, verse une cuillerée de Nescafé dans l'une, dépose un sachet de Lipton dans l'autre. Ce sont des gestes automatiques qui laissent sa tête libre d'être prise par toutes sortes de préoccupations. Des préoccupations qui ne sont pas de la projection, l'énumération des tâches à effectuer et des problèmes à résoudre. Ses préoccupations sont oniriques : elle réunit les bribes de souvenirs qui lui restent de ses rêves pour tenter d'en reconstruire l'histoire. Et tout en se perdant dans ses songes brumeux, elle verse l'eau bouillante dans les deux tasses, touille pour que le café ne fasse pas de grumeaux, fait tomber deux morceaux de sucre, touille à nouveau, dépose la tasse sur la table à côté d'un journal déplié sur les actualités internationales, baille, s'assied sur le comptoir de la cuisine. Quand il lève les yeux de son journal, il la voit qui regarde par la fenêtre.

18 janv. 2014

Dans la rue… William, Montréal

18 mai 2013


Il glisse la main dans la boîte aux lettres, rien. Une. Deux. Trois. Quatre. Cinq marches. Premier palier. Deux portes closes. Six. Sept. Huit. Neuf. Dix. Mathieu n'est sûrement pas rentré. Onze. Douze. Treize. Quatorze. Quinze. C’est la solitude qui doit l’attendre, les fesses bien calées dans le fauteuil à bascule du salon. Seize. Dix-sept. Dix-huit. Dix-neuf. Vingt. Un tour dans la serrure. Le grincement familier des gonds de la porte. Il traverse le couloir sans allumer les lumières. Il se rappelle qu'il n'y a pas si longtemps, on était accueilli chez soi par le clignotement du voyant lumineux d'un répondeur. Il pousse la porte de sa chambre. Elle est sombre, silencieuse, immobile. « La solitude, c’est sans quoi on ne fait rien » a écrit Duras quelque part. Il se jette sur le lit, se blottit contre la solitude, mon amie la solitude, mon inspiratrice, et frissonne. Mon amie, tu es glaciale.