12 avr. 2012

Dans la rue... Saint Vallier, Montréal




Sur le pallier, comme tous les soirs à partir de huit heures, le vieux du troisième étage, aile gauche, a descendu et déplié devant ma porte un campement de fortune, composé principalement de matériel électronique et de deux caisses de plastique qu'on a tous un jour utilisées en guise de bibliothèque d'appoint ou de panier à vélo, mais servent ici de bureau. Le petit écran de son netbook projette la diffusion en direct, enrouée par les faiblesses du wifi et le nombre d’internautes connectés, des dernières manifestations.

«Ca va mal», dit-il.
Je lui souris.

Une fois, il m'a raconté son histoire d’amour avec une fille qu’il avait rencontrée au secondaire. Elle avait une bouche grande comme la mienne, m’avait-il dit, qui traversait son visage d'une oreille à l'autre. C'était l'amour de sa vie.

Moi, j'ai jamais appelé personne l'amour de ma vie, et je me méfie des mots. Qu'on parle d'amour ou de politique. Le dernier mec avec qui j'ai baisé, il ne m'attirait pas du tout. J'ai baisé avec lui parce qu'il m’a tellement répété qu’il avait envie de me dévorer qu'il m'a fini par me convaincre que j'étais un gros sandwich, et j'ai pas eu d'autre choix que de l'être jusqu'au bout.

En ce moment, de toute façon, le vieux ne me parle que de la grève étudiante. Il occupe la parole comme d’autres prennent la rue, et commente en direct les commentaires que les internautes font en direct de la diffusion en direct des événements. Il dit que le printemps érable aura marqué les générations futures, il énumère le nom des intellectuels qu’évoquera la jeunesse de demain lorsqu’elle parlera de nous. Il se gave d'une indignation qui finira bien par le pousser dans la rue ou l'étouffer. Il me demande :

- Et ton carré rouge?

Je ne lui dis pas.
Qu'avant de quitter mon appartement, j'ai mis du rouge sur mes lèvres et ces quelques mots sur la vitre.



1 avr. 2012

Dans la rue... Chateaubriand, Montréal

5 mars 2012








Postée là sur le lit, le regard planté dans la nuque dégagée de Carlos trop concentré sur son travail pour m’accorder la moindre attention, je ne sais pas, je l’avoue, je pense à des trucs pas catholiques. Il me baragouine des théories politiques ; moi, j’ai discrètement dégrafé mon soutif et roulé ma culotte jusqu'à terre. Je fais « ah, hein, hein, hein, hein » pour remplir les silences. Descends la bretelle de ma robe pendant qu’il me récite les mots de Marx, encore une fois, il se trompe en s’appuyant sur des monuments de la pensée au lieu de s’ouvrir à la vie, l’autre bretelle, la robe glisse, je me retiens pour ne pas rire en imaginant sa tronche quand il lèvera la tête, et mon cœur se rompt lorsqu’il la lève, s’étouffe dans les derniers mots de sa phrase en écarquillant les yeux sur moi, nue, sur son lit.

Un ange passe, comme dirait l’autre, avant que le visage de Carlos reprenne quelques couleurs et qu’il ait l’air d’imprimer ce qui va arriver. Pauvre Carlos. Il se précipite sur moi en se prenant les pieds dans son jeans qu’il essaie d’enlever en marchant. J’entends crrraaaccc, une ribambelle de perles tombe sur le parquet, le con a accroché son slip dans une maille de son bracelet et a tout arraché. Je rigole. Il rougit. Ah, le T-shirt encore, vas-y que j’arrache une manche, quel combat!, quelle furie!, je me demande s’il faut que je me lève, non, il arrive jusqu’au lit, ouf, je m’allonge et fonds sous sa peau brûlante qui recouvre centimètre après centimètre la mienne. Il a une peau douce et mate, un corps nerveux, mais ce qui me touche le plus, c’est le martèlement de son cœur sur ma poitrine. J'entortille mes doigts dans ses boucles brunes tandis que, d’un brusque coup de rein, le salaud me bourre. Ce n’est pas très élégant, mais je ne lui dis rien, pour la tendresse, on y repassera. J’essaie de ne pas remuer d’un millimètre le bassin pour ne pas le tuer, quand un bruit dans l'autre pièce me fait ouvrir les yeux au moment où… « haaannn »… il croise les miens, jamais saisi tant d’effroi dans un regard, et s’écroule sur moi, trempé de la sueur d’un effort qu’il n’a pas fourni.

Il essaie de me lancer sur la question de mon plaisir, que j’élude d’un sourire. Ce n’était pas au programme, pas ce plaisir là en tout cas, mais c’est un peu trop compliqué à expliquer. Bien sûr, j’aurai préféré que Carlos dure le temps de l’éblouir, le retourner comme une crêpe pour lui montrer de quoi j’étais capable, perchée sur lui en lui infligeant un rythme un peu plus soutenu, mais je sais reconnaître les moments privilégiés. Je lui caresse tendrement le dos pendant que son corps s’alourdit, les battements de son cœur ralentissent, un soupir, et « rrrrrronnnn », il me ronfle une fanfare dans les tympans. Ben mon cochon !