28 oct. 2011

dans la rue... St-André, Montreal

13 août 2011



"Hier soir, j'ai rencontré Éric, mon ex."
Je relis la dernière phrase notée la veille sur mon carnet, le jette sur le lit, tire une lanière de cuir pour faire apparaître — oh magie! — un sac à main de sous une montagne de vêtements, enfile une chaussure — merde mes dents —, sautille sur un pied jusqu'à la salle de bains, retrouve ma seconde chaussure, remets tout dans le bon ordre, claque la porte et dévale la rue, la veste ouverte pour m’en servir de parachute en cas d’atterrissage forcé.

Hier soir, j'ai rencontré Éric, mon ex, et il ne m'est pas tombé dessus comme le christ sur le pauvre monde, cette fois, non, ils courraient vers moi, lui et son chien, et j'ai cru reconnaître Éric, de la même façon que je me disais, à l'époque où nous étions ensemble, que ce mec qui venait s'assoir à ma table dans le bar où nous avions rendez-vous, ça se pouvait très bien que ce soit Éric. Heureusement, le doute s'est plus vite dissipé cette fois. À l'époque, c'était comme si j'avais toujours besoin d'un prélude pour reconnaître son visage. Ou peut-être qu'il arrivait toujours aux rendez-vous avec le visage de quelqu'un d'autre.

Hier, j'ai dit "Bonjour Eric". "Ah", il a bondi et m'a regardée comme si j'étais quelqu'un de familier qu'il arrivait pas à replacer. Il sortait d'un lancement, et s'est entêté à me dresser une liste qui n'en finissait pas. La poitrine de poulet de la rotisserie Romados, le dernier Wim Wenders, les sushis deux-saumons... Je comprenais pas où il voulait en venir, mais je me sentais bien, pas du tout étrangère, au contraire, sous cette liste, je sentais qu'il y avait tout un monde qu'on partageait, et puis c'était un peu son flanc que je flattais pendant que je tapotais le flanc de son chien.

Un jour, il y a de ça quelques vies, je lui avais dit de prendre garde parce que je commençais à m'attacher à lui, et il m'avait répondu que c'était comme s'attacher au vieux chien moche qu'on finit par aimer à force de l'avoir dans les pattes. Je crois que j'étais tombée amoureuse de lui à cause de cette phrase.

Hier soir, sur le trottoir, moi, Chakpa, c'était impossible de lui avouer, mais je me suis scindée en deux dans une expérience totalement paranormale où j'étais bel et bien là, sous la pluie, à écouter Éric, mon ex, délirer sur la variété des plaisirs, et au même moment, dans un monde parrallèle dans lequel on était deux chiens affalés devant un feu de cheminée, épuisés d'une bonne ballade dans la neige, faisant sécher nos vieux poils, museau au sol, l'air gavé, pendant qu'une main nous grattait amoureusement l'échine.

1 commentaire:

  1. "Nous sommes tous des Emma Bovary qui nous laissons conduire par des phrases", dit en substance Roland Barthes ; et la délicatesse avec laquelle, à son tour, il a disposé des phrases dont on peut ensuite, au gré des petits bonheurs épiphaniques de lecture (quand notre vie se fait, tout à coup, "bien, pas du tout étrangère" au sens toujours en réserve), se saisir, me fait penser qu'il songeait à ce texte, devant ses auditeurs au Collège de France...

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