30 mai 2012

Dans la rue... Beaubien, Montréal

18 avril 2012



Ce mec à qui l’on propose un billet gratuit pour le prochain train vers Berlin, alors qu’il vient juste d'appeler sa mère pour lui dire, après trois ans de fuite silencieuse autour du monde, qu'il rentre pour de bon...

Cette fille en talons hauts qui déboule sur le trottoir, pousse les passants, et lâche un rire hystérique en atterrissant sur la vitrine d’une bijouterie sur laquelle elle plaque ses bras grand ouverts comme si elle croyait pouvoir étreindre la bague exposée derrière la vitre...

Cet homme qui ramasse quelque chose par terre, se retourne, et court après la jeune femme qu'il vient de croiser pour lui demander si c'est son nom, en lui montrant, à l'intérieur de l'alliance qu'il a trouvée sur le sol, un nom gravé...

On voudrait que ces incidents provoquent une fissure dans la ligne de pensée - et de  vie - des protagonistes, et reviennent les frapper sans répits comme un motif dont on n'arrive plus à se passer car il pourrait être cet événement qui donne un sens définitif à l'enchaînement de fragments qui forment une vie.

Par contre, quand la fissure œuvre en silence, quand le quotidien ne fait que se replier en moments identiques, qui se superposent les uns sur les autres, comme les cafés qu’ils superposent sur leurs estomacs vides chaque matin, on bute sur l'impossibilité de raconter, par la perpétuation sans heurts de gestes communs, les raisons pour lesquelles ça ne pourra plus jamais être pareil.

Ils continueront de laisser filer les matins en superposant des cafés qu’ils s’amusent à servir plus courts d’heure en heure comme pour mieux sentir la précarité du temps qui leur reste. Ils s’asseyront sur les quais à midi, parleront d’un livre, retourneront travailler, se retrouveront le soir, boiront un vin qui déliera les angoisses en ramenant les corps à l’instant présent, pendant que, dans l’avion, au souvenir des petit-déjeuners sous le soleil matinal d'un balcon parisien, elle accumulera sur sa tablette les mignonnettes de rouge, jusqu’à ce que montent les larmes.

8 mai 2012

Dans la rue... St-Denis, Montréal

19 avril 2012




Andrea, la voisine du premier, ne s’intéresse pas à moi. Ça ne m’empêche pas de me précipiter chaque matin dans sa cuisine aux premiers sifflements de la cafetière pour cueillir sur son visage cet instant fugace pendant lequel, je le jurerais, elle est totalement elle-même.

Elle ne danse pas, ne sourit pas, n’a rien à dire. Elle n’a pas l’air fatiguée. Ni plus vieille, ni plus triste que lorsque je la croise plus tard. Elle a l’air… passée. Un film en noir et blanc, que José, son copain, se chargera de colorer pendant le reste de la journée. Elle sort la confiture, qu’elle verse dans un petit ramequin avant de le déposer sur la table, ses gestes sont automatiques, son regard lasse me fait l’effet d’une gorgée de rhum, et je me répéte en boucle jusqu’à ce que la phrase, je l’espère, soit expulsée d’elle-même un jour à force de tournoyer en moi, que ses lèvres doivent avoir la même fraîcheur que cette confiture dégoulinant sur mes doigts. 

Elle n’est pas maquillée, elle n’est pas parfumée, elle a la peau grise, elle n’est pas drôle, elle n’essaie pas de l’être, n’a pas de conversation, ses gestes sont sans affèterie, nus, secs, je me sens de plus en plus plus proche d’elle, jusqu’à ce que le claquement de la porte annonce l’arrivée de José. Tape sur l’épaule, bousculade. Il m’ébouriffe les cheveux, « Ah, toi », qu’il rigolle tout simplement, puis il va s’asseoir en glissant une main sur les fesses d’Andréa qui finit par se marrer aussi.

Avec José, elle forme un couple parfait.