6 nov. 2011

Dans la rue... Hutchison, Montréal

28 août 2011





Troubles de la vision

Il n'est pas nécessaire d'aller jusqu'à la prosopagnosie pour ne pas reconnaître les traits, les saillies, les teintes qui forment cet ensemble qu'il est coutume d'appeler visage. Ils se relayent si vite parfois, d'une semaine à l'autre, comme des lanternes en file indienne qui attendent leur tour pour maintenir le lieu habité  en lieu de vie.

Les visages qui défilent, et partent en laissant une allumette sur la table pour qu'on gratte les dépôts et les souvenirs consumés de leur passage. Une chanson qu'on bougonne avec humeur au saut du lit parce qu'elle avait pris la bonne habitude d'être reprise en écho depuis une autre pièce, et bute sur un silence. Un parfum protéiforme, amalgame de l'odeur incrustée de ceux qui sont passés par là, les fragrances organiques sur une écharpe oubliée, et l'odeur du tabac qui aime traînasser dans les pièces malgré le soin qu'il prenait à toujours fumer dehors - et s'est déposé aussi dans les cheveux qu'il encordait sous ses doigts en noeuds pleins de promesses qu'on sera bien incapables de tenir mais n'oubliera pas.

Un récipient de plastique sur la table du salon dans lequel on aura laissé les pièces inutiles, embarrassantes, parce que trop légères pour en faire des rouleaux dans lesquels on rassemble ses dernières forces et espoirs avant de les mettre en paquets de 10 dans ses poches. Un mot sur la table qu'on a pesé longuement pour qu'il ne soit pas le dernier, et n'a pas trouvé place dans ces poches. Des petites manies, si petites qu'on pourrait ne pas les remarquer, mais brodent elles-aussi une présence en creux.

Il n'est pas nécessaire d'aller jusqu'à la prosopagnosie pour confondre les visages et les identités, ne plus distinguer le sien de celui des autres, prendre une lanterne pour une étoile. Alors peut-on imaginer - voire représenter - la confusion d'un décor où l'incertitude dans laquelle nous plonge la prosopagnosie côtoierait les déformations qu'une vieille hypermétropie inflige en écrasant la trois dimension sur une surface plane?

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