24 fevrier 2011 |
À ceux qui partent
Les lieux communs du quotidien. C’est lourd. Mais ça dit ce que ça dit. Ces espaces qui reposent sur des conventions pour qu’on puisse y habiter à plusieurs. Rien à voir avec le cliché, qui, par la fugacité de son irruption – clic –, rappelle que cette communion a toujours une fin trop précoce.
Les bruits. Lourds aussi. Il y a le bruit des verres qu’on sort du rack, ceux qu’on range à leur place. Le grincement de la porte battante. Les dernières commandes de la soirée qu’on gueule à la cuisine pour économiser quelques pas. Le bruit d’un travail encore tendu vers l’excitation, mais plus vers l’urgence. Dans la salle, le bourdonnement d’une discussion qui semble figée de table en table, de soir en soir. On commence parfois par la politique ou le cinéma pour se donner le change. Mais on passe vite au seul sujet qui vaille la peine du bruit qu’on fait et qu’on endure, moi, moi, moi… parce que moi… comme je dis… moi… moi et l’autre… qu’a appelé… pas rappelé… qu’a changé de photo sur son profil… qu’est lâche… qu’est beau… qu’a laissé un message sibyllin sur un écran qui ne le supporte pas… le lundi… le mardi, il a écrit… le mercredi… le jeudi… après ça… après ça, il m’a quitté.
L’absence. De l’autre. Lui et sa grâce sans fausse note. Dont il reste si peu déjà. Le manque. Quelque chose de béant. Qui était trop étourdissant en sa présence. La porte battante. Les derniers clients… moi… l’autre… je vais voir son profil… pas maladivement… mais souvent… S’il est parti, ce n’est pas parce que je n’ai pas pu le retenir. C’est ma seule consolation. S’il est parti, ce n’est pas malgré moi. Il gèle dehors. La neige. C’est l’hiver qui s’étire. Les rues Gilford. Bordeaux. Clark. Garnier. Ne sont qu’un seul et même couloir qui mène de la maison au travail, du travail au métro. D’une solitude à l'autre, saturée.
Son raffinement… qu’il avait envie de briser, parfois, faire quelque chose de lourd, de vulgaire, pour lasser la beauté, pour se sentir enfin aimé, tout au fond. Les chaises qu’on tire. Je ne les entends plus. Que les pas feutrés des passants qui préfèrent le risque des ruelles enneigées à l’accès morne des rues principales. Le manque. C’est peut-être de l’amour. C’est peut-être du désir. Ou l’envie d’une légèreté que je ne peux effleurer sans lui parce que je ne suis pas quelqu’un d’autre.
Vaisselle sale. Bouteilles vides. Poubelles. Le manque et la saturation. J'aurais pu lui dire, reste. Reste, on peut vivre à deux sur mon salaire. Les derniers rires s’échappent dans la rue. On cherche la compagnie des autres pour remplir quelque chose. Beaucoup d’accumulation. Beaucoup de complaisance. Beaucoup de bruit. Mais, au fond, il n’y a plus rien qui nous remue.
Pourtant, oui, pourtant, on finira bien par être heureux quelque part. Dans un État médium. Au lieu de passer d’un absolu l’autre. Peut-être, sa délicatesse finira par rompre, et notre peur de l’insignifiance, dans ce pays de porcelaine.
le manque et la saturation.
RépondreSupprimerAna... Ce texte me dérange.
Merci.