14 fevrier 2011 |
Il y a quelque chose qui cloche. La liste des tâches à accomplir peut bien attendre un jour de plus. Quelque chose cloche et ce n’est pas «le lent délabrement du quotidien». Cette menace-là est bien derrière. Et pourtant. Elle courbe l’échine, retient son souffle. Elle sait bien. Ça va s’abattre d’un coup. Pourtant.
Pourtant, c’est un bel appartement, lumineux, juste pour elle. Pourtant, il y a des bars et des bouteilles de vin à portée de bras. Des rires alcoolisés qui remontent jusqu’à sa fenêtre. Une forme d’espérance dans le sourire du voisin. Un bureau séparé de la chambre. De l’espace. Pour respirer. Mais elle ne respire pas. Elle ne cuisine pas. Elle n’écoute pas de musique à tue tête en dansant devant la glace. Elle n’écrit pas. Ne dessine pas. N’avance sur aucun de ses projets qu’elle croyait enfin pouvoir faire entrer dans sa vie après avoir fait sortir l’autre. Elle ne lit même pas.
Elle se dit que ça pourrait céder à n’importe quel moment. Maintenant. Ou là. Là encore. Là. Mais ça ne cède pas pour l’instant. Cette nuit, elle a rêvé de Dantec. Ou plutôt, elle a rêvé qu’un invité, qu’elle avait tant attendu, finissait par sonner à son interphone. Mais il n’arrivait jamais jusqu’à sa porte. Elle sortait sur le palier. Sur les marches du long escalier en colimaçon, comme on en voit dans les vieux appartements parisiens, elle pouvait voir le long manteau noir de son invité qui frottait le sol, mais pas son visage. «Je peux vous aider?». Mais il ne répondait pas. Il aurait fallu qu’il s’en aille, elle le sentait, qu’il s’en aille avant qu’il ne lui arrive quelque chose de funeste. Mais il était entré dans le bureau de Dantec. S’asseyait en face de l'autre sur un fauteuil en cuir, sans s'apercevoir que sur cette chaise gisait déjà un écrivain mort. Et elle, c’est le moment le plus troublant, partageait, et l’effroi de son visiteur s’enfonçant dans le corps mou, et la satisfaction morbide de Dantec, et l’angoisse d’assister impuissante à la scène. Elle ne s’est pas rendormie avant longtemps. Ça résonnait comme l’avertissement de quelque chose de grave, je ne sais pas, la nuit, les peurs prennent des tournures terriblement menaçantes. Mais ce n’était pas comme n’importe quel cauchemar.
Elle se replie sur le sofa. Ça commence à faire mal. Tous ces efforts pour ne pas faire d’erreur. Pour que ça ne tombe pas. Que ça ne soit pas vain. Pour qu’il reste quelque chose. Autre que des ruines. Elle se dit, il y a le lent délabrement du quotidien, oui, et puis, il y a d’autres formes de chutes. Qu’elle va mettre sa vie en sac pour la protéger de l’usure du temps. Qu’elle va rester assise là. Il est bien ce canapé. Il est confortable aussi.
C’est bien aussi.
Finalement.
Ce confort-là.
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