20 mars 2011 |
C'est le commencement qui est le pire,
puis le milieu puis la fin;
à la fin, c'est la fin qui est le pire.
Beckett
Au fond, un amas phénoménal d'objets qui fut autrefois ce que j’osais encore appeler un établi, qui essaya aussi d'être un bureau, gagne presque le mur d'en face, et voudrait bien qu'on lui donne enfin la forme d'un atelier. Les vélos suspendus au plafond par de grosses chaines qui étaient là avant. La basse et les amplis. Du béton froid. Une peau de mouton synthétique Ikéa. Des cartons (ou des boites) qui pourraient être l'ébauche de multitudes d'autres vies, mais n'osent pas. Et le vieux sofa gris.
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Dans mon garage, la lumière ne passe pas. Quand j’arrive pas à dormir, j'y descends me regarder un film. Je descends. Parce que là-haut, c’est bien trop haut, dans cette chambre, pour l’insomnie, l’insomnie, ça aussi, c’est léger, si léger que ça commence, les regards par la fenêtre, l’espoir d’une vie meilleure, une bulle, ploc.
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Hier soir, j’ai regardé un documentaire sur deux petits vieillards fanatiques qui attendaient Élias, le sauveur, sans perdre espoir. Et si l’espoir était un autre mot pour dire déception? C’est le journaliste qui posait cette question.
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En 1912, mon arrière grand-père, un farfelu du nom de Reichelt, s’est posté au dernier étage de la Tour Eiffel dans sa combinaison d’homme-oiseau. Il s’est élancé dans le vide, déployant ses ailes majestueuses et… est tombé comme une pierre sur 317 mètres avant de se fracasser sur le bitume en éclaboussant les curieux. Dans un sens, il a laissé son empreinte un trou de 35 cm de profondeur pour la postérité. Quant à mon père... Chez moi, les hommes meurent tous de peur avant de toucher le sol.
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Pour ne pas faire comme mes aïeux, j’ai décidé de ne pas m’enfuir. Dans l’espoir. Et l’attente. De ne pas croire qu’il s’est passé quelque chose d’exceptionnel quand il m’est rentré dedans comme le Saint Esprit sur le pauvre monde. Ne pas attendre que ça fasse, enfin, basculer tout le reste. Ne pas imaginer que c’est lui dont je ne connais rien que ses yeux bleus. Ne pas fendre l’espace de la rencontre de possibles à venir. Ne rien projeter dans les silences de l'événement. Ne pas prétendre qu’il s’agit d’un événement. Ne pas rêver sa peau les yeux ouverts. Ne pas me désinteresser de tous les autres hommes qui ne sont pas lui que je ne connais pas. Ne pas cesser de vivre ma vie. Ne rien changer. Surtout pas mon itinéraire quotidien dans l’espoir de retomber sur lui par un heureux hasard. Ne pas se dire que la vie l’a mis sur ma route. Qu’elle pourrait vouloir encore m’y confronter. Qu’il y a des gens qu’on ne cesse de croiser par hasard. Alors que d’autres disparaissent.
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À la page 234 de son carnet, mon grand-père a rencontré la lumière divine: Les détonations des grenades, depuis, résonnent d’un silence éternel… Puis il a marché sur une mine, et s’est dissous dans l’atmosphère aussi silencieusement qu’il s’était fondu dans une morne existence de son vivant. Il est mort, laissant derrière lui, une femme et des enfants qu’il n’a pas su aimer, et au-devant, à jamais désirée, jamais goûtée, la vie qui vous brûle par les deux bouts jusqu’à ce que vous partiez en fumée en irradiant les siècles à venir.
je me serais assurément bien entendu avec Reichelt.
RépondreSupprimerTu aurais tout de suite vu qu'il avait peur et tu l'aurais fait descendre pas l'escalier, et nous n'en serions pas là!
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