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19 avril 2012 |
Elle m'a dit, si c'est pas pour toi, fais-le pour la gamine. Elle prenait des cours de piano. C'était l'année où je lui avais offert l'album I put a spell on you de Nina Simone. Elle faisait rewind, stop, play sur Feeling Good et sautait tout autour de la table du salon avec le magnéto dans les bras. Alors j'ai essayé de le faire. Pas pour moi mais pour la gosse. J'ai caché les bouteilles dans un coffre-fort. J'ai caché le coffre-fort dans la cave. J'ai jeté la clé dans le jardin. Je l'ai retrouvée tard dans la nuit. J'ai vidé le coffre-fort dans la même nuit. Je l'ai rempli à nouveau. Je l'ai caché à nouveau. J'ai jeté les clés dans le jardin. Je les ai retrouvées, tard dans la nuit. J'ai vidé et j'ai rempli le coffre-fort. J'ai caché des bouteilles dans les placards. J'ai caché des bouteilles dans mes poches. J'ai arrêté de chercher la clé. Et puis je suis mort ; c'est arrivé, c'est tout. Je me souviens même plus de ce qu'il s'est passé après, mais ça n’a pas fait de bruit.
Elle a vieilli sans moi. Elle vit toujours dans notre appartement. C'est une femme toute seule. Elle peut s'assoir devant le piano. Elle peut regarder la télé. Elle peut marcher. Elle peut sortir la monnaie de ses poches et la compter. Elle peut s'allonger sur le canapé. Elle peut tapoter les coussins pour leur redonner leur renflure. Elle peut faire les poussières. Elle peut écrire une lettre. Elle peut parler. Elle peut se préparer pour aller à l'église. Elle peut allumer la lumière. Elle peut se teindre les cheveux. Personne ne la voit. Quand je lui souffle que je l'aime à l'oreille, elle secoue ses cheveux avec la main comme si quelque chose était pris dedans.
Chez elle, on dirait que le temps s'est arrêté après une fête de Noël qu'aurait eu lieu dans les années 80. À la fenêtre, seul le sourire d'une vieille photo de Nina attire le regard des passants.
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