Sur le pallier, comme tous les soirs à partir de huit heures, le vieux du troisième étage, aile gauche, a descendu et déplié devant ma porte un campement de fortune, composé principalement de matériel électronique et de deux caisses de plastique qu'on a tous un jour utilisées en guise de bibliothèque d'appoint ou de panier à vélo, mais servent ici de bureau. Le petit écran de son netbook projette la diffusion en direct, enrouée par les faiblesses du wifi et le nombre d’internautes connectés, des dernières manifestations.
«Ca va mal», dit-il.
Je lui souris.
Une fois, il m'a raconté son histoire d’amour avec une fille qu’il avait rencontrée au secondaire. Elle avait une bouche grande comme la mienne, m’avait-il dit, qui traversait son visage d'une oreille à l'autre. C'était l'amour de sa vie.
Moi, j'ai jamais appelé personne l'amour de ma vie, et je me méfie des mots. Qu'on parle d'amour ou de politique. Le dernier mec avec qui j'ai baisé, il ne m'attirait pas du tout. J'ai baisé avec lui parce qu'il m’a tellement répété qu’il avait envie de me dévorer qu'il m'a fini par me convaincre que j'étais un gros sandwich, et j'ai pas eu d'autre choix que de l'être jusqu'au bout.
En ce moment, de toute façon, le vieux ne me parle que de la grève étudiante. Il occupe la parole comme d’autres prennent la rue, et commente en direct les commentaires que les internautes font en direct de la diffusion en direct des événements. Il dit que le printemps érable aura marqué les générations futures, il énumère le nom des intellectuels qu’évoquera la jeunesse de demain lorsqu’elle parlera de nous. Il se gave d'une indignation qui finira bien par le pousser dans la rue ou l'étouffer. Il me demande :
- Et ton carré rouge?
Je ne lui dis pas.
Qu'avant de quitter mon appartement, j'ai mis du rouge sur mes lèvres et ces quelques mots sur la vitre.
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