19 octobre 2011 |
Les rangées qui se remplissent par les extrémités. L'odeur insistante de beurre du pop corn. Un générique sans musique, rien, qu'un fond noir et des lettres blanches. Le malaise des gorges qui raclent le silence. Le lissé des phrases d'Haneke. La beauté de leur amour. Les gens qui rient quand ce n'est pas drôle. Les gens qui continuent de vider leur sac, et ça fait gritchi-gritchi, la main qui reprend une poignée de maïs, et scrouac-scrouac-scrouac, sous la dent. Les sièges qui claquent et se vident au fil des minutes. Les phrases du quotidien qui m'émeuvent.
«- Je n'ai pas envie d'aller à cet enterrement.
- Personne n'en a envie.
- Si, Sylvie, pour montrer sa nouvelle robe. Pourquoi les gens viennent-ils aux enterrements?
- J'aimerais bien savoir ce que tu dirais s'il n'y avait personne au tien.
- Probablement rien.»
Le mec à côté de moi qui texte ses amis. Et regarde l'heure toutes les 30 secondes. «Tu es un monstre, mais tu es gentil», dit par elle en lui servant un oeuf pour le petit-déjeuner. Le mec à côté de moi tape du pied et souffle fort comme si on allait finir par changer le film juste pour lui. La force de leur amour. Sa dévotion. Et, encore plus que sa dévotion, l'admiration intacte qu'il lui voue, alors que les autres regards sont ennemis parce qu'apitoyés. La question inévitable: le ferait-il pour moi? le ferais-je pour lui? Les échanges sont réduits à des sons et des gestes, et je ne m'en rends pas compte.
Je pleure déjà depuis 30 minutes. Les gens qui m'accompagnent se lèvent et sortent. Je résiste et reste assise jusqu'à la dernière seconde du générique de fin. Je n'ai pas envie d'aller manger un hamburger en décortiquant gauchement le film. Dire j'ai aimé, j'ai pas aimé, elle joue bien, ah c'était long. J'ai envie d'allumer mon ipod et de prendre le bus, et de m'asseoir dos à la route pour regarder la rue s'échapper derrière moi comme si c'était mon passé (ça l'est en fait). Je me sens impolie. Je me frappe un peu. C'est mal, je me dis. On te rappellera plus. Tu ne suis pas le protocole social, tu ne sais pas faire comme tout le monde, tu ne peux même pas partager ton opinion autour d'un verre en sortant d'un film. Je me dis aussi: tu ne sais pas être légère, tu ne sais pas être drôle, tu vois toujours les choses en gris, tu es d'une très mauvaise compagnie, tu râles «il pleut encore, il neige encore, j'en ai marre de cette ville», tu dis qu'à Montréal il n'y a pas d'horizon. Et quand on sort de la ville, après des heures de banlieue, on tombe dans la forêt et on ne voit pas plus loin. Je me dis que je devrais sourire et faire des blagues, que je ne pense qu'à moi, mais je prends le bus toute seule. Et je suis tellement bien toute seule dans ce bus que la culpabilité glisse et je décide de prendre des sushis et de rentrer directement à la maison, m'asseoir à la table de la cuisine, allumer la radio et commencer le roman que je viens d'acheter. Je baigne dans le bonheur.
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